Les TLA font leur cinoche
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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 19:03

Alps  est un film du grec Yorgos Lanthimos. C'est l'histoire d'une société secrète en Grèce qui se fait appeler ainsi en référence aux montagnes des Alpes.

 

Nous ne comprenons pas au début du film le but de cette société secrète. C'est cela même qui rend le film intéressant et intriguant : le mystère qui se démantèle peu à peu. Il s'agit en réalité d'une société glauque, qui, lorsqu'une personne perd un de ses proches, propose à celle-ci un acteur qui la remplacera. Cet acteur reproduira alors la personnalité du défunt, ses gestes, ses paroles, ses habitudes, ses goûts. Une infirmière fait partie de cette organisation, et nous allons la suivre du début à la fin, sans savoir d'abord si elle joue la comédie ou pas. Très étrange, morbide, le film est déroutant puisque rien n'est explicité, jusqu'aux sentiments des différents personnages : qu'est ce qui pousse les proches à faire appel à cette société ? Qu'est ce que cela apporte aux membres de cette société ?

http://ALPS by Yorgos Lanthimos / Trailer

Le scénario ne nous dit rien sur les personnages, leurs sentiments, du moins il ne les explique pas. Nos repères sont brouillés : la succession des scènes qui nous font confondre comédie et réalité. Souvent les personnages sont filmés de dos, de façon à ce que nous ne voyions pas le regard qu'ils portent sur le personnage principal (par exemple le regard du père sur sa fille - l'infirmière - qui reste neutre et impénétrable). Ainsi, le regard des autres ne nous aide même pas à comprendre ce personnage féminin en quête d'identité. Cela peut sembler déroutant, puisque les clés pour comprendre ce personnage ne nous sont pas données, mais je pense que c'est cela qui fait toute la force de ce scénario. Certaines scènes sont ainsi très étranges (et choquantes) et nous sommes laissés dans le flou quant à la réalité des relations entre personnages, et aux motifs - pourquoi agit-elle ainsi ? - me suis-je demandé à plusieurs reprises.

 

Les personnages dépeints sont émotionnellement perturbés. Ils se perdent dans leur jeu de rôle. Par ce brouillage de piste, Lanthimos parvient justement à nous interroger sur le jeu des personnages : jouent-ils la comédie ou sont-ils réellement dans une vie réelle, avec leur proches à eux? (D'où les plans flous et très éloignés du visage des personnages).

L'infirmière se présente peu à peu comme la protagoniste de l'histoire, bien que cela ne soit pas évident. Elle fait partie de cette organisation au nom évocateur : Alps, en référence aux montagnes des Alpes. Selon les mots du "chef" de cette organisation très spéciale, ces montagnes sont irremplaçables, et peuvent se substituer à toutes les autres. Bien qu'il n'existe aucune ressemblance physique, ce n'est pas cela qui importe, le remplaçant doit reproduire les habitudes, les goûts, la façon de parler d’un disparu (la scène par exemple où une des membres de ce groupe se fait enguirlander car elle s'est trompée dans une réplique, et est pendue par les pieds et doit réciter encore et encore la phrase qu'elle doit dire au grand père qui a perdu sa femme). Mais on comprend que ce n'est pas le manque des proches en deuil qu'ils essaient de combler, mais leur propre vide émotionnel. La jeune gymnaste qui veut absolument pratiquer son numéro avec une musique pop, et mauvaise actrice,  va faire une tentative de suicide. Les personnages sont malheureux : ainsi, j'ai particulièrement apprécié la fin du film : l'infirmière ne peut s'empêcher de revenir dormir dans le lit de l'adolescente qu'elle a "remplacé" pour ses parents en deuil ; elle ne peut vivre autrement qu'en jouant car sa vie émotionnelle (et sexuelle) ne la satisfait pas. Cela dit, c'est peut être le seul moment du film où l'on ressent réellement cette souffrance, et une certaine pitié pour le personnage.

La souffrance n'est pas assez rendue par l'image ; le film traduit une grande noirceur et pessimisme mais ne parvient pas à nous faire ressentir la détresse de ces êtres désemparés. Le silence (la musique m'a beaucoup manqué...) règne le plus souvent, et les dialogues sont rudes, presque brutaux ; et certaines scènes sont d'autant plus violentes qu'elles sont sans retour. La mise en scène n’est peut-être pas au niveau du récit, et de la profondeur des personnages. Le film est déroutant, pesant et nous laisse un peu froid ; on s'ennuie à certains moments à cause de cette inertie qui transparaît à l'écran. Pourtant, le récit est maîtrisé, car jusqu'au bout, les personnages, et les situations de jeux de rôles nous intriguent. Il n'y a peut-être qu'un seul moment de sincérité dans tout le film : lors des réunions de cette organisation, et le geste du coach tyrannique qui laisse sa gymnaste pratiquer sur une chanson "pop". Pour ma part, j'étais partagée entre le dégoût et la pitié pour le personnage de l'infirmière. C'est plus par égoïsme que par pitié et altruisme que ces personnages agissent ; mais on ne peut s'empêcher d'en avoir pitié.

 

Lanthimos montre l'errance de ces personnages à travers les corps, qui sont un moyen d'expression efficace : la danse, le sexe, la violence. Le film met en scène une fatalité désespérante. Le chef scellera le destin de l'infirmière par la couleur qui jaillira de son sang. Si celui-ci est rouge, elle devra quitter le groupe ; au contraire, s'il est bleu, elle sera autorisée à rester. Evidemment, le sang apparaîtra rouge. Juste une fatalité dans la punition du corps d'être ce qu'il est. L'image est donc utilisée pour nous montrer toute l'absurdité, et le vide de leur existence. Les personnages ne sont presque plus existants : ils deviennent des spectres. On se demande alors : quelle vie pour ces êtres ?

 

http://4 MINUTES AVEC YOURGOS LANTHIMOS, REALISATEUR DE ALPS

 

Alps est un film intéressant, par le mystère de l'intrigue, les questions qu'il nous pose (aimerions-nous faire appel à ce genre d'organisation ? Est-ce vraiment un soulagement ?). Des questions bien malheureusement pas assez exprimées. Peut être un peu morbide, et trop apathique pour que cela plaise, mais cela reste un film à voir!

 

 

Lissania

 

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