Les TLA font leur cinoche
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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 12:00

                                   Dans une grande maison madrilène vivent trois fillettes, entourées de leur père, leur grand-mère, leur bonne, et leur tante, qui essaient de combler le vide laissé par la mort de leur mère. L’une des sœurs, Ana, dix ans à peine, échappe à une atmosphère étouffante en se réfugiant dans un monde de rêves. Un jour, le père meurt dans les bras de sa maîtresse. Ana est persuadée que c’est elle qui l’a tué. Refusant le monde des adultes, elle continue de s’enfermer dans son imaginaire en faisant revivre le souvenir de sa mère.

 

                                   Ce film a quelque chose de déroutant, et de dérangeant. Personnellement, j’ai été marquée par le regard impénétrable, et l’insensibilité froide et distante de la petite Ana. Les thèmes traités sont très durs, celui de l’abandon, porté par la chanson « Porque te vas », la mort présente du début à la fin du film, une enfance tumultueuse confrontée à la réalité, et une métaphore de la dictature franquiste.

 

                                   L’atmosphère du film est assez oppressante. On peut parler de huis clos familial, puisque la famille est enfermée dans cette grande maison, et on ressent une sorte de vide laissé par la mort de la mère. Les couleurs sont toujours très sombres, et il règne un silence pesant, malgré quelques moments de musique, de joie. Le film ne traite pas explicitement de la dictature franquiste, probablement pour éviter la censure. C’en est plutôt une métaphore très subtile, à travers les personnages. Le père, personnage antipathique, qui a causé la mort de la mère selon Ana, représente les militaires de la dictature. Tandis que la mère représente la musique, la culture, une expression, un amour, donc la République. La grand-mère est paralysée, elle ne peut plus parler, elle représente en quelque sorte un immobilisme de la situation, une oppression. Bien sûr, Ana est aussi un symbole de ce mutisme : c’est une enfant, elle ne peut pas dire ouvertement ce qu’elle pense alors qu’elle est constamment confrontée à la dureté du monde adulte.

 

                                   Ana n’est pas une enfant comme les autres, puisqu’elle a subi très tôt la perte de sa mère et ne s’en est jamais vraiment remise. Elle a une double personnalité, enfin c’est comme ça que je l’ai vu. D’un côté elle est sombre, triste, elle a des pulsions de mort (quand elle veut tuer sa tante), mais en même temps, elle est très vivante, elle aime la musique, danser, jouer avec ses petites sœurs. Au début du film, une scène m’a interpellée : Ana, en train de jouer dans la cour, se voit sur le toit, comme si elle était dédoublée. Je n’ai pas compris tout de suite cette scène mais c’est peut être le sens qu’il lui fallait donner.

 

                                   Elle passe des moments très sombres, quand elle assiste à l’agonie de sa mère par exemple. Elle se bouche les oreilles pour ne pas entendre ses cris, de même elle va essayer d’échapper à la réalité en se créant un monde parallèle, à l’écart du monde de mensonges des adultes… en faisant revivre sa mère. Les scènes mère et fille sont les scènes les plus touchantes du film. Elles partagent un lien particulier, affectif qu’Ana n’a pas avec son père. Un lien que la tante n’a pas su recréer, et qui est peut être mieux rempli par la bonne Rosa. Mais Ana se réinvente une vie entière, puisqu’elle crée un passé imaginaire. Carlos Saura utilise ici des flashbacks, ce qui rend le film un peu compliqué à suivre. On ne sait pas si les scènes du passé se sont réellement produites, ou si ce n’est que l’imaginaire d’Ana qui fonctionne.

 

 

                                   Ce n’est qu’une enfant mais on a l’impression qu’elle comprend très bien le monde des adultes… Toutes les scènes, même les plus horribles sont vues à travers ses yeux. Elle a compris que son père était responsable de la tristesse de sa mère, car il l’avait trompé. Avec ses sœurs, elles vont jouer un peu comme au théâtre, une scène de dispute entre un mari et sa femme, qui croit qu’il l’a trompé… Elle recrée encore une fois le monde des adultes, en interprétant le rôle de sa mère. Cela montre qu’elle n’est pas dupe. Elle est très intelligente, ce qui la rend très inquiétante. Elle ferait une bonne meurtrière !

 

                                   La musique porte un souffle au film, autant que les moments de silence. J’ai apprécié la façon dont le réalisateur a su alterner les moments de silence et la musique à travers trois thèmes différents… Au paroxysme de l’action, la musique disparaît, on retient son souffle : par exemple quand la mère agonise et crie à Ana qu’elle ne veut pas mourir…  « Porque te vas » est à la fois rythmé, vivant (quand les petites dansent), et triste avec l’idée de l’abandon. Cette chanson symbolise en quelque sorte le caractère bipolaire d’Ana, à la fois vivant et triste. On a du mal à s’attacher à elle, puisqu’on ne la comprend pas bien, mais au fur et à mesure on peut se reconnaître en elle. L’enfance est une « période longue, interminable, triste », avouera Ana plus âgée. Cela n'a-t-il pas été notre lot à tous, à un moment ou à un autre d'une enfance plus ou moins heureuse, de nous sentir perdus dans un monde d'adultes ?

 

 

                                   Tout comme le personnage principal Ana, ce film peut être assez dur à cerner par moments, ce qui fait qu’il peut ne pas plaire. Il dérange par son atmosphère oppressante, intrigue par la richesse des images et la profondeur des personnages (j’ai surtout développé celui d’Ana), et le monde de l’enfance est peint avec subtilité, et mélancolie. J’ai beaucoup aimé l’actrice interprétant Ana car elle arrive à faire passer beaucoup de choses par un seul regard sans avoir besoin de parler. Je pense que ce film peut plaire à des gens très différents puisqu’on peut le regarder de beaucoup de façons différentes, et surtout il a su traverser les années.

 

Cria Cuervos - Carlos Saura - 1975

 

 

Lissania

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commentaires

S
<br /> Excellent article! Il est très bien écrit.<br /> <br /> <br /> Il me semble avoir déjà vu un extrait de ce film: on voit bien à travers les yeux d'Ana une certaine froideur, une certaine mélancolie, bien qu'au départ je croyais<br /> que c'était un petit garçon. <br />
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L
<br /> <br /> Merci d'avoir lu la critique de Lissania. C'est un excellent film sur l'Enfance. A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> C'est surtout de la chanson de Jeannette, dont je me rappelle !<br />
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L
<br /> <br /> Pas étonnant ! Le 45 T a été vendu à plus de  1 100 000 exemplaires  en France ! Cette chanteuse a-t-elle ensuite eu d'autres succès ?<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Analyse très riche de ce film que j'ai vu il y a plusieurs années. Cet article met en lumière la psychologie d'Ana et  souligne la complexité de mettre en scène les souffrances de<br /> l'enfance. Félicitations pour ce travail enrichissant.<br />
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L
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire et l'attention portée à nos articles. Cria Cuervos est en effet un excellent film sur l'enfance, et au delà, sur la difficulté des relations humaines. A bientôt sur ce<br /> blog.<br /> <br /> <br /> <br />